D’une photo à l’autre, Thierry, je constate la grande cohérence de ton univers, tant au niveau plastique que thématique.
Je note que l’humain est très rarement représenté dans tes photos, sinon sous la forme d’ombres, de spectres ou de mannequins. Et dans les rares cas où il figure en chair et en os, il n’a pas de visage.
Je note que dans toutes tes photos il y a un effet d’éloignement par rapport au sujet et à la matérialité.
Comme je l’ai déjà suggéré, tes photos me semblent en quelque sorte comme des images d’images. Elles me parlent toutes d’une distance, d’intériorité, de solitude ou d’isolement, de l’inquiétante étrangeté de l’être que nous sommes.
Récemment, une amie Rpéenne m’a suggéré qu’à ses yeux tes photos tournaient autour de l’ego. Moi, je suis d’avis qu’elles tournent autour de l’âme humaine et d’un questionnement lucide sur l’ego, tout comme les poèmes de Baudelaire. Dans ses Fleurs du mal, dont s’inspire le titre de ta présente photo, Baudelaire se montre extrêmement critique de l’ego humain, comme en témoigne son préambule intitulé « Au lecteur » :
« La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine. »
Qu’on puisse voir dans les Fleurs du mal de Baudelaire, ou dans tes photos, une forme d’expression de l’ego, d’un condamnable souci de soi, cela m’est incompréhensible.
Que l’on condamne moralement les poètes et artistes qui se sont interrogés sur l’inquiétante étrangeté de l’être humain, y compris sur le deuil et l’angoisse existentielle, cela me semble éclipser d’un coup une importante et essentielle dimension de l’être humain que nous sommes et de notre expérience vécue en tant qu’êtres humain.
La poésie, tout comme la photographie, a bien des visages.
J’apprécie l’une et l’autre dans leur diversité.
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, un voyage au contact des frontières, un voyage qui, au-delà du réalisme historique et scientifique, me parle de l’être humain que nous sommes toutes et tous.
L’histoire d’Ulysse me parle surtout de son retour dans son pays, sa contrée d’Ithaque, après une longue aventure, un long périple dans les mers houleuses et imprévisibles.
C’est ainsi qu’Ulysse, à son retour, est devenu un étranger dans son pays.
L’Odyssée d’Homère est à mes yeux une œuvre séminale. Elle me semble être, ici en Occident, l’origine de la poésie, avec ses nombreux échos, notamment dans les tragédies grecques de l’Antiquité et chez Shakespeare, parmi bien d’autres.
J’aime toutes les œuvres d’art qui me parlent et font écho à mon expérience vécue.
J’aime tes photos, ton regard et ton univers, Thierry.
Tu ouvres des fenêtres dans ma maison.
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François
