Complément d’information :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaston_BachelardLes quatre éléments
Bachelard classe les inspirations poétiques en quatre catégories, correspondant aux quatre éléments des Anciens et des alchimistes : l'eau, le feu, l'air et la terre. Il écrit : « La rêverie a quatre domaines, quatre pointes par lesquelles elle s'élance dans l'espace infini. Pour forcer le secret d'un vrai poète [...], un mot suffit : « Dis-moi quel est ton fantôme ? Est-ce le gnome, la salamandre, l'ondine ou la sylphide ? ». » Ces quatre catégories sont autant de méthodes poétiques et psychanalytiques d'approche des textes littéraires.
Dans La Psychanalyse du feu, Bachelard évoque les quatre éléments, bien qu'il centre son ouvrage sur le feu. Ce livre inaugure la série d'ouvrages que Bachelard va consacrer aux éléments : cette série commence donc par le feu, puis l'eau (L'Eau et les rêves : Essai sur l'imagination de la matière), l'air (L'Air et les Songes : Essai sur l'imagination du mouvement), la terre (La Terre et les Rêveries du repos et La Terre et les Rêveries de la volonté), et s'achève par l'élément par lequel Bachelard avait commencé, celui qui le fascine le plus personnellement : le feu, dans son autobiographie La Flamme d'une chandelle. Suzanne Bachelard, sa fille, éditera l'œuvre posthume Fragments d'une Poétique du Feu (constituée de trois chapitres respectivement sur Prométhée, le Phénix et Empédocle), ce qui fait trois ouvrages sur le feu au total.
Bachelard fait référence en particulier aux œuvres d'Henri Bosco et de Novalis pour illustrer ses analyses littéraires. Gérard Valin s'est appuyé sur ces travaux du philosophe pour rapprocher les sources d'inspirations de ces deux "poètes mystiques".
Les poètes
Le feu
Bachelard analyse l'imaginaire du feu et de l'alcool dans La Psychanalyse du feu.
Pour le feu, Bachelard évoque Héraclite, Empédocle, Novalis, Hölderlin, Hoffmann, le Werther de Goethe. Le feu est particulièrement vif dans le courant romantique, à cause de la consumation totale du moi dans la nature qu'il inspire. Les poètes animés par la « salamandre » ont ainsi en commun cette volonté de dispersion du moi dans les choses : la légende dit qu'Empédocle s'est jeté dans l'Etna. Héraclite fait du « feu » (τὸ πῦρ), perpétuellement en devenir, le principe au cœur des choses qui crée et consume le monde sans fin124. Werther finit par se suicider pour un amour impossible. Hölderlin écrit un roman intitulé Hypérion et trois versions d'une tragédie inachevée sur Empédocle, exprimant la nostalgie de ce retour au sein de la Nature, de laquelle il se sent exilé, avant de sombrer dans la folie3 :
« Alors qu'Hypérion choisit une vie qui se mêle plus intimement à la vie de la Nature, Empédocle choisit une mort qui le fond dans le pur élément du Volcan. Ces deux solutions, dit fort bien M. Pierre Bertaux, sont plus proches qu'il ne semble à première vue. Empédocle est un Hypérion qui a éliminé les éléments werthériens, qui, par son sacrifice, consacre sa force et n'avoue pas sa faiblesse ; […]. La mort dans la flamme est la moins solitaire des morts. C'est vraiment une mort cosmique où tout un univers s'anéantit avec le penseur. Le bûcher est un compagnon d'évolution. »
La production poétique de Novalis, quant à elle, fut aussi intense que courte. Bachelard en dit :
« Toute la poésie de Novalis pourrait recevoir une interprétation nouvelle si l'on voulait lui appliquer la psychanalyse du feu. Cette poésie est un effort pour revivre la primitivité. […] Voici alors, dans toute sa claire ambivalence, le dieu frottement qui va produire et le feu et l'amour. »
L'eau
Bachelard analyse l'imaginaire de l'eau, qui est lié à l'amour chez Novalis.
Pour l'eau, Bachelard évoque Edgar Allan Poe, dans L'Eau et les Rêves127. Dans La Psychanalyse du feu, il parle de l'« étang de la Maison Usher »128. Bachelard commente également l'œuvre de Novalis, qui exprime dans son Henri d'Ofterdingen (roman inachevé) des images de maternité et de jeunes filles au contact de l'eau :
« Les êtres du rêve, chez Novalis, n'existent donc que lorsqu'on les touche, l'eau devient femme seulement contre la poitrine, elle ne donne pas des images lointaines. »
De plus, pour Novalis, l'eau est une « flamme mouillée ». On voit bien ici que, dans l'imaginaire poétique, les quatre éléments ne sont pas cloisonnés de manière rigide ; ils peuvent au contraire communiquer, comme chez Novalis où l'eau transfigure le feu et vice-versa. Bachelard classe aussi Swinburne parmi les poètes hantés par l'« ondine ».
Bachelard est cité en incipit de Bulles de Peter Sloterdijk, un ouvrage également consacré à l'imaginaire aquatique au cours de l'histoire de l'humanité.
L'air
Pour l'air, Bachelard consacre un long passage à Nietzsche dans L'Air et les Songes. Il s'intéresse ainsi à l'esthétique (Le Cas Wagner) et à la production poétique (Le Gai Savoir et Ainsi parlait Zarathoustra, entre autres) de Nietzsche, en plus de lui emprunter certaines de ses intuitions sur le désir et sur l'imagination. Il déclare :
« Nietzsche est le type même du poète vertical, du poète des sommets, du poète ascensionnel. »
L'esthétique nietzschéenne se caractérise par la légèreté, notamment dans les arts rythmiques (musique, danse et poésie), contre la « lourdeur névrotique » de Wagner.
Bachelard analyse aussi, dans le même livre, les poètes marqués par la « sylphide » que sont Shelley (« poésie aérienne », p. 52), Balzac (« ascension psychologique vécue », p. 70) et Rilke (« impression dynamique de légèreté », p. 44). Sa psychologie de l'air s'inspire de manière remarquable de la métaphysique bergsonienne de la mobilité, notamment lorsque Bachelard caractérise l'élément aérien comme la coïncidence mouvante de l'être intime (l'être du rêveur-poète) avec l'Être tout entier (l'être cosmique) : le monde est lui-même « voyage », et le rêveur voyage avec le monde, non dans le monde : la fusion aérienne n'est pas la consumation brûlante de l'être que l'on trouve dans la poésie marquée par l'élément igné.
« Jamais le rêveur aérien n'est tourmenté par la passion. (p. 57) »
En effet, le poète de l'air se meut dans la douceur ; il est transporté, protégé, comme le rêveur de l'eau qui est bercé par l'eau maternelle. La continuité entre l'eau et l'air se manifeste précisément dans le passage du « transport flottant bercé par les eaux » au « transport volant porté par les airs ». Au contraire, le poète du feu risque la dissolution complète de son être dans l'élément naturel, il dissipe toute protection dans une rêverie flamboyante et passionnée.
Néanmoins, l'air et le feu ont en commun l'élévation, l'ascension :
« La méditation de la flamme a donné au psychisme du rêveur une nourriture de verticalité, un aliment verticalisant. Une nourriture aérienne, allant à l'opposé de toutes les « nourritures terrestres », pas de principe plus actif pour donner un sens vital aux déterminations poétiques. »
— La Flamme d'une chandelle (1961), p. 4.
La terre
Gaston Bachelard analyse l'imaginaire de la terre dans deux ouvrages : La Terre et les Rêveries de la volonté et La Terre et les Rêveries du repos.
Bachelard était un épicurien aux liens très marqués pour la terre et ses fruits. Son enfance à Bar-sur-Aube a sans doute influencé son attirance pour les escarpements, l'eau et la terre ; ainsi y fait-il allusion, dans L'Eau et les Rêves. Tout en expliquant l'origine du nom donné à son pays, il en décrit les caractéristiques : « le Vallage, un pays ainsi nommé en raison du grand nombre de ses vallons ». Bachelard était un terrien, éloigné de la mer : « J’avais presque trente ans quand j’ai vu l’Océan pour la première fois », écrit-il au début de L'Eau et les Rêves, et ne voyageant qu'en des contrées proches de la France. De Paris, il aime surtout la Place Maubert où il fait son marché et dont il goûte les fruits, chose rare en ce temps pour un homme : « c’est mon village, autour il y a Paris, me dit-on ». Bachelard reste avant tout un homme de terroir, aimant les longues randonnées avec ses amis. Il aime sentir cette terre, en apprécier la chair et les vins. De Voigny où il a habité et où sa fille Suzanne est née, il se rendait à Bar-sur-Aube à pied, par les collines. Un sentier de grande randonnée de pays correspondant à un circuit en boucle de 29 km, au départ et à l'arrivée de Bar-sur-Aube (son bourg natal autour duquel il aimait se promener), a justement été balisé en sa mémoire et baptisé en son nom.
François
