Une autre remarquable réalisation témoignant d’une expertise technique et d’une belle sensibilité esthétique.
Le titre "Birdy (self)" m’a d’abord intrigué. Le mot « self » indique qu’il s’agit d’un autoportrait. Quant au mot « birdy », il me semble évoquer la manière dont l’auteur se voit, en l’occurrence comme un oiselet tombé du nid et incapable de voler. Mon interprétation se fonde ici sur un autre autoportrait à l’escalier, que tu as récemment présenté ici : « L’Albatros ». Dans les deux cas, il me semble y être fait référence au poète qui, comme Baudelaire, se heurte à la dure réalité du monde prosaïque :
Élévation
"Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !"
Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal
Je note aussi que ta production photographique se caractérise par des thèmes récurrents, par exemple l’horloge et l’escalier. Ces deux thèmes sont pour moi reliés et véhiculent non pas un message mais une vision, un « idéal » : abolir le temps pour entrer dans l’éternité. Une telle vision me semble conforme au vécu de nos ancêtres les plus lointains, selon les témoignages des ethnologues. Homo Sapiens me semble, pour la plus grande partie de son existence sur Terre, avoir vécu dans un souci d’éternité, dans un monde qui d’année en année naissait à nouveau : un éternel retour, comme en témoignent notamment les écrits de l’historien des religions Mircea Eliade.
Homo Sapiens, depuis son apparition voilà plus de 100 000 ans, a toujours été le même. Son âme a toujours été la même. Ce qui a changé, et qui change de plus en plus, ce sont ses conditions d’existence.
Je pense, Thierry, que ton souci est, comme Baudelaire, de parler de l’âme humaine à partir de ton vécu d’humain.
Je pense aussi qu’un grand nombre de tes photos, sinon toutes, pourraient avantageusement illustrer des recueils de poésie, y compris Les Fleurs du Mal, de Baudelaire, ainsi que des romans tels que l’Insoutenable légèreté de l’être, de Milan Kundera.
À mon avis, les poètes n’ont jamais voulu documenter l’instant. Ils ont toujours tendu, comme toi, à parler de l’âme humaine, qui me semble apparemment inchangeable.
Si un jour notre âme s’avère être autre chose que ce qu’elle a toujours été, nous serons alors en présence d’un autre être.
Je suis d’avis que la photographie est à la fois une technique et un art. En tant qu’art, elle inclut la vision poétique et l’évocation de l’âme humaine.
En ai-je trop dit ou pas assez?
J’exprime ici mon ressenti en fonction de mon vécu, de mes lectures et mes connaissances limitées.
C’est pour moi une joie de voir ici sur RP tes photos qui toujours m’interpellent et me séduisent.
Bravo, Thierry!
François
